Lorsqu’elles toquent à nos portes à l’arrivée du printemps, les premières fleurs apportent ce bonheur simple qu’est l’annonce des jours heureux. Leur beauté, leur efflorescence ont un langage qui transmet un sentiment, un remerciement, un espoir. Elles sont l’inspiration même des romantiques qui, au XIXe siècle, trouveront leur héros au Portugal. Son nom ? Constantino José Marques de Sampaio e Melo.
Connaissez-vous d’ailleurs le jardin Constantino à Lisbonne ? Situé au cœur du quartier Arroios, près de l’Hôpital Dona Estefânia, ce poumon vert reste insignifiant aux gens de passage. C’est pourtant ici que l’on trouve la dernière trace de cet illustre Portugais qui, au XIXe siècle, fut l’ambassadeur de son pays à travers l’Europe en ébullition. Comme le dit si bien Plutarque, « l'ingratitude envers les grands hommes est la marque des peuples forts ». Que justice soit faite pour sa postérité !
Né en 1802 près de la ville de Bragance, Constantino perd très vite ses parents, emportés par le typhus. Il est accueilli par ses tantes qui lui vouent un destin religieux et l’envoient, pendant son adolescence, chez les frères franciscains de Moncorvo. N’ayant pas de vocation monastique, le jeune homme répugne les règles de vie qu’on lui impose et passe le plus clair de son temps dans la nature au lieu de s’isoler dans le cloître. C’est ici qu’il commencera à être animé par les fleurs du jardin et à faire de son âme, celle d’un artiste. Contre la volonté de ses tantes qui le menaçaient de le chasser s’il refusait d’entrer dans les ordres, il décida de quitter le couvent et prit le chemin de Viseu sans crier gare.
Arrivé dans la capitale de la Beira, Constantino rencontre les chasseurs de la cinquième brigade. Orphelin, sans attache et à l’avenir incertain, il embrasse la carrière de jeune soldat. Il avait à peine revêtu son uniforme qu’éclate la révolution libérale de Porto en 1820. En 1824, après la contre-révolution, sa brigade est démobilisée. Constantino quitte le continent pour changer de vie et débarque sur l’île de Terceira aux Açores. Sur place, Constantino commença à créer des fleurs de plumes pour occuper le temps, renouant avec sa passion de jeunesse.
En 1828, la guerre civile portugaise gronde au Portugal. Pedro IV, libéral, et son frère Miguel Ier, absolutiste, se livrent une guerre fratricide. En fuyant l’île de Terceira, acquise par les libéraux, Constantino soutient la cause migueliste. Un jusqu’au-boutisme qui le fera participer aux plus grandes batailles des deux frères ennemis. De Porto à Lisbonne, il sera le porte-étendard de ses camarades d’armes… jusqu’à l’ultime défaite. En 1834, après la capitulation d’Evora-Monte, Constantino s’exile à Gênes avec Miguel Ier comme compagnon de fortune.
De tous les émigrés miguelistes, Constantino est sans doute le plus démuni. Il n’avait pour bien précieux que les bijoux de sa sœur, morte du choléra à Santarém. Avec son âme de bohême, il erre dans les rues de Gênes à la recherche d’un gagne-pain. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il découvrit les magnifiques fleurs artificielles de la boutique d’une Française, Madame Vieillard, la première fleuriste de Gênes. Pour lui montrer ses talents, il lui proposa de créer un rameau de fleurs de plumes, à la mode des Açores. Mais comme ce type de fleurs n’était pas recherché en Italie, Mme Vieillard l’employa à la préparation des teintures. Vivant dans la pure clandestinité et se sentant bridé par la Française, Constantino se résolut à reprendre la route. Son objectif ? Paris. Car seule la capitale des artistes pourra confirmer ses talents pour un art qui lui a souri pendant son enfance et que les malheurs de ce monde n’ont jamais altéré.
Après être passé par Turin et Lyon pour visiter les fabriques de fleurs, il débarqua dans la capitale française avec une petite valise et 3 francs. Ne sachant pas un mot de français, il chercha à se loger à l’hôtel du Portugal, mais même ici personne ne parlait la langue de Camões. Avec la recommandation de Mme Vieillard, Constantino se présenta devant M. Flamet, fabricant émérite de fleurs artificielles à Paris. Pendant le souper, Constantino réalisa son fameux rameau de camélias de plumes qui impressionna le Tout-Paris. La garde nationale en offrit même à la reine Amélie, épouse de Louis-Philippe Ier.
Sa richesse et sa célébrité furent faites en peu de temps. En 1839, il est le fournisseur officiel de la maison royale de France. Il entreprend ensuite un long tour d’Europe, des Pyrénées jusqu’en Allemagne : il étudie la botanique, perfectionne son art tant admiré qu’il donne des cours aux princesses royales.
De retour à Paris en 1844, Constantino sera consacré pendant l’exposition nationale. On ne peut distinguer ses créations composées avec des fleurs naturelles ! Il existe même à cette époque une couleur qui porte son nom : le carmin constantino. À Paris, il n’avait aucun rival si bien qu’il était acclamé avec les plus grands honneurs : « Vive Constantin ! Vive le roi des fleuristes ! »
En 1850, Constantino a la saudade du Portugal, son pays, qu’il a quitté à grand fracas il y a 16 ans. Apprenant la nouvelle de son arrivée imminente, Lisbonne est en ébullition. Le journal A Revolução de Setembro annonce dans son édition du 24 juillet :
« Le célèbre Constantino, notre compatriote, dont le talent artistique lui a donné le titre de roi des fleuristes, est arrivé hier de Londres pour visiter sa terre natale […]. Il séjourne à l’hôtel de l’Europe, rua Nova do Carmo. »
Il revient donc en triomphe et reçoit les plus grands honneurs de l’élite portugaise. À l’hôtel d’Italie, il est convié à un banquet présidé par le plus romantique des Portugais, l’écrivain Almeida Garrett. À propos des fleurs de Constantino ? Almeida Garrett les aime autant que les femmes. Dom Fernando et la reine Maria II reçoivent Constantino en grande pompe. À Porto, les fleuristes vendent des flores constantinas.
Les poètes louent ce héros national qui est la fierté de tout un peuple. Parmi eux, António Pinheiro Caldas est grandiloquent :
« Rival de Deus sobre a terra,
Quem te nega adoração
Quando a França te saúda
– Novo Rei da Criação?!
[…]
Quando colhes d’entre os louros
O mais rico dos thesouros :
– Um triumpho a Portugal?!
Constantino! Como é grande
O teu génio creador,
Quando vertes o perfume
No cálix da TUA flor!
[…] »
Adulé par la presse britannique lors de l’exposition universelle de Londres en 1851, Constantino travaille pour tous les souverains d’Europe. Mais même les fleurs artificielles flétrissent. Le sort est terrible pour Constantino. Sa vie se terminera comme elle a commencé. On ne s’arrache plus les fleurs artificielles, la mode à Paris a changé. Rongé par la maladie, Constantino n’a plus la force de lutter. Il se retire dans son domaine des Landes, à Tercis-les-bains, chassé de Paris par les communards. En janvier 1873, il meurt isolé, loin de ses proches.
Le bulletin municipal de Lisbonne écrivait en 1902, 100 ans après sa naissance : « Le 17 de ce mois, nous fêtons le centenaire d’un Portugais que le monde jadis acclamait “roi des fleuristes”, mais il semble que tous nous l’ayons oublié. »
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