Le 25 avril, l’Avenida da Liberdade (l’avenue de la liberté) est très agitée. Non, aujourd’hui, ce n’est pas le flot ininterrompu de véhicules mais bien les Lisboètes qui battent le pavé, un œillet rouge à la main !
Et pour cause, chaque année, à la même date, le 25 avril, le Portugal commémore la Révolution de 1974 qui a entraîné la chute de la dictature fondée en 1933 par António de Oliveira Salazar, l’Estado Novo. Alors pour bien tout comprendre, faisons un peu d’Histoire…
L’Estado Novo est la dictature Portugaise fondée en 1933 par António de Oliveira Salazar, ancien professeur d’économie de l’université de Coimbra, la plus prestigieuse du Portugal. En 1910, date à laquelle Salazar intègre cette université, cette dernière ne compte pas plus de 500 élèves. Ils se connaissent tous et feront partie de l’élite de la nation. Conservateur et catholique pratiquant, il prend peu à peu position contre la république Portugaise d’alors, très anticléricale. Mais il critique plus la situation financière du pays que l’anticléricalisme.
En 1926, les militaires prennent le pouvoir et mettent fin à la première république portugaise. Ils cherchent à remettre l’économie portugaise à flot. Pour cela, ils vont faire appel à un spécialiste de l’économie : Salazar ! Mais ce dernier démissionne au bout de quelques jours, arguant que le pays est au bord de la faillite et qu’il n’a pas les moyens nécessaires pour y faire face.
Les militaires se voient alors obligés de demander l’aide internationale. Dans le pays, cela est très mal vécu et de plus en plus demandent le retour de Salazar. Ce dernier revient en grâce en 1928 et pose ses conditions : la moindre piécette dépensée par le gouvernement devra être soumise à son accord. Cela fonctionne : un an plus tard l’économie portugaise est sous contrôle et l’escudo, la monnaie du pays, est stabilisé.
Le 25 juin 1932, le général Óscar Carmona, alors président du Portugal, nomme Salazar chef du gouvernement. L’ancien professeur d’économie crée alors un parti politique, l’Union Nationale. En 1933, une nouvelle constitution voit le jour : l’Estado Novo. Par cette nouvelle constitution, Salazar s’octroie tout simplement les pleins pouvoirs et l’Union Nationale devient le parti unique du pays.
L’Estado Novo est caractérisé par l’union entre trois forces du Portugal : l’Etat, la religion catholique et les corporations de métier. Très frugal, Salazar n’instaure pas de culte de la personnalité, comme dans les autres dictatures de l’époque. Cependant, il musèle l’opposition, spécialement le parti communiste, ainsi que la presse et les syndicats. Dans les prisons du pays, la torture est monnaie courante… Sur la scène internationale, le Portugal reste neutre, position qu’il gardera pendant la seconde guerre mondiale.
Après un AVC en 1968, Salazar cède le pouvoir à Marcelo Caetano et meurt deux ans plus tard le 27 juillet 1970.
En 1974, après 41 ans de dictature, le Portugal se trouve dans une mauvaise passe. En effet, le gouvernement peine à développer le pays qui demeure alors l’un des plus pauvres d’Europe. De nombreux Portugais ont d’ailleurs dû quitter le pays pour aller travailler au nord de l’Europe, notamment en France. En témoigne l’importante communauté portugaise dans certains quartiers parisiens.
Par ailleurs, l’armée portugaise s’embourbe dans les guerres d’indépendance des colonies portugaises d’Afrique (l’Angola, le Mozambique, la Guinée Bissau, le Cap Vert, Sao Tomé et Principe). Pour l’Estado Novo, il est impensable d’accorder à ses colonies leur indépendance. Il préfère mener la guerre jusqu’au bout, pour garder sa posture d’Etat fort. Mais ces guerres sont longues, en Angola elle dure depuis 13 ans. Elles sont aussi très coûteuses et isolent le Portugal sur la scène internationale. En effet, en 1974, la plupart des pays européens ont déjà accordé l’indépendance à la plupart de leurs colonies. Et, en pleine guerre froide, les Etats-Unis et les soviétiques soutiennent les mouvements indépendantistes. De surcroît, de nombreux jeunes portugais y laissent malheureusement leur vie. Beaucoup de familles portugaises sont endeuillées par ces guerres de “pacification” qui n’en finissent pas. Le Portugal perd ainsi plus de 8000 militaires et de nombreux autres reviendront blessés et traumatisés. C’est dans ce contexte difficile que les principaux hauts gradés du pays, en particulier le général Spinola, commencent à exprimer leur désaccord avec le régime. Petit à petit, la contestation s’amplifie et va mener tout droit à la révolution…Le 25 avril, c’est le grand jour ! A minuit quinze, la radio Renascença diffuse la célèbre chanson “Grândola, Vila Morena”, interdite par le régime. La Révolution est en marche et le soir même, Caetano, le chef du régime, est destitué. La date du 25 avril n’est pas prise au hasard : le 25 avril 1945, les armées nazies et fascistes capitulaient en Italie.
Mais revenons sur cette journée… La diffusion de Grândola, Vila Morena est un signe de ralliement. Les troupes rebelles se dirigent donc vers les points stratégiques du pays. A la fin de la nuit sont occupés les principales radios, l’aéroport de Lisbonne et la Praça do Comércio (Place du Commerce) où se trouvent une partie des institutions du pays comme la Banque du Portugal. Le tout se fait avec très peu de résistance de la part du régime qui, n’ayant plus l’armée, n’a pas beaucoup de marge de manœuvre.Les habitants, qui devaient rester chez eux, bravent l’interdiction et se mélangent petit à petit aux militaires. Une lisboète, Celeste Caeiro, qu’on appellera plus tard Celeste dos Cravos (Celeste des œillets) devait livrer des œillets rouges au restaurant Sir, non loin de la place Marquês de Pombal. Ce restaurant fêtait ce jour-là son premier anniversaire d’ouverture. Pour marquer le coup, il avait décidé d’offrir des œillets rouges aux dames et du Porto aux messieurs. Etant données les circonstances, l’opération est annulée et Celeste Caeiro obtient le droit de repartir avec les fleurs du restaurant. En chemin, elle passe devant les militaires. Elle leur demande ce qu’il se passe, ils lui répondent qu’ils partent renverser Caetano. Ils lui demandent ensuite une cigarette mais Celeste n’en a pas, tous les magasins sont fermés, elle n’a que ses fleurs. Elle les donne donc aux militaires, pour leur montrer son soutien.
Ces derniers les posent alors sur le canon de leur fusil. L’idée est reprise et bientôt, tous les restaurants de la ville donnent leurs fleurs aux militaires. Celeste dos Cravos, elle, continue à parcourir la ville avec ses fleurs pour les distribuer à tous les militaires qu’elle croise ! L’œillet rouge deviendra un symbole de la révolution portugaise qui deviendra la Revolução dos Cravos, la Révolution des œillets.Ce jour-là, la révolution est proclamée, Caetano, le chef du régime, est destitué et envoyé en exil au Brésil. De nombreux prisonniers politiques sont libérés et les opposants au régime, partis à l’étranger, pourront revenir au Portugal les jours qui suivront. Ce vent de liberté qui a soufflé sur le Portugal le 25 avril 1974 se fait encore particulièrement sentir chaque année sur l’Avenida da Liberdade, une des artères principales de Lisbonne. Les longs cortèges des différents partis politiques qui y défilent tous les ans témoignent de la vitalité de la vie politique portugaise !
Point de départ de la révolution du 25 avril, Grândola, Vila Morena était une chanson interdite lors du régime salazariste. Zeca Afonso, son compositeur, était un professeur des écoles qui chantait par ailleurs du fado. Ses musiques devinrent de plus en plus politisées, en faveur des opprimés de l’Estado Novo. Cela lui vaut d’être renvoyé en 1968 de l’école où il enseignait à Setúbal. A partir de ce moment-là, Zeca Afonso, aussi appelé José Afonso, s’adonne entièrement à la musique. Il rejoint des groupes d’intellectuels qui ont pour but de faire évoluer les consciences par la musique. Dans un pays qui, dans les années 70, compte environ un tiers de sa population ne sachant ni lire, ni écrire, la musique est un média très important pour faire passer ses idées.
Grândola, Vila Morena a été enregistrée en 1971. Ce n’est pas directement une chanson de protestation, ce qui lui vaut d’échapper à la censure pendant un temps. Même si le nom de José Afonso était interdit dans les médias, (les journaux utilisaient Esoj Osnofa pour parler de lui) la musique a pu être écoutée à la radio à ses débuts. Elle parle de la fraternité et de la solidarité qui règne dans la ville de Grândola, en Alentejo. L’Alentejo est une région du sud du Portugal, soumise à des conditions climatiques difficiles (sécheresse, vent…). Pour y faire face, les Alentejanos ont toujours organisé leur travail de manière collective et ce depuis l’Antiquité, ce qui représente, aux yeux de nombreux penseurs, l’idéal communiste. C’est une région qui reste encore aujourd’hui un bastion communiste au Portugal. Cette longévité est caractérisée dans la chanson par le chêne vert, arbre typique de la région. A travers les paroles, Afonso veut ainsi montrer que ce n’est pas quelques dizaines d’années de dictature qui entacheront l’esprit communautaire des Alentejanos. A bon entendeur…
Voici la traduction des paroles de Grândola, Vila Morena. Vous pourrez retrouver la musique facilement sur les plateformes de streaming comme Spotify ou Deezer :
Grândola ville brune
Terre de fraternité
Le peuple est celui qui commande le plus
En toi, cité
En toi cité
Le peuple est celui qui commande le plus
Terre de fraternité
Grândola ville brune
A chaque côté un ami
A chaque face, l’égalité
Grândola ville brune
Terre de fraternité
Terre de fraternité
Grândola ville brune
A chaque face l’égalité
Le peuple est celui qui commande le plus
A l’ombre d’un chêne vert
Qui ne connaît pas son âge
J’ai juré d’avoir pour compagne
Grândola, ta volonté
Grândola, ta volonté
J’ai juré d’avoir pour compagne
A l’ombre d’un chêne vert
Qui ne connais pas son âge.
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